Et si les élèves écoutaient de la musique ?

Derrière ce titre un peu provocateur, je le reconnais, se dessine une problématique essentielle pour le professeur de musique classique. Bien évidemment, les élèves écoutent de la musique. Mais à l’évidence trop peu. Et en définitive, écoutent-ils la musique qu’ils apprennent ?

Jusqu’à une période relativement récente de l’histoire, la musique enseignée correspondait à la musique réellement écoutée et vécue au quotidien. Aujourd’hui, le pédagogue constate qu’il enseigne à des élèves qui ne la vivent plus de la même façon.

Un nouveau paradoxe est apparu. D’un côté, les nouvelles technologies (la dématérialisation du support musical, comme les sites distribuant la musique en streaming) et une offre culturelle  abondante s’associent à des facilités d’accès à l’apprentissage de la musique sans précédent, conséquence positive d’une politique culturelle volontariste amorcée dès les années 60.

De l’autre côté, force est de constater que les familles des élèves des écoles de musique se déplacent peu aux concerts, y compris à ceux des professeurs. Les élèves n’achètent pas de disques, ne vont pas en emprunter à la médiathèque, les plus jeunes ne reçoivent pas de disques aux anniversaires ou à Noël, et surtout n’écoutent généralement pas de musique à la maison. Quant aux adolescents, s’ils en écoutent beaucoup, il ne s’agit que rarement de la musique travaillée dans l’école de musique.

Le fait de ne pas écouter le style de musique travaillée pose un problème, qui est celui de la résonance émotionnelle du répertoire abordé. Si la musique ne signifie pas grand chose, pourquoi provoquerait-elle une émotion, un enthousiasme, un élan ? Malheureusement, le professeur de musique se trouve souvent dans une situation qui reviendrait à enseigner à de jeunes enfants une langue morte, celle-ci n’ayant ni vécu intérieur pour l’élève, ni pour fonction une communication dans le monde présent.

Indépendamment de ce phénomène, préoccupant en soi, le fait de ne pas écouter de musique tout court est problématique dans le processus d’apprentissage. Écouter de la musique développe une aptitude, qui est son intériorisation. C’est l’écoute répétée et continue, processus idéalement enclenché dès l’enfance, qui permet de développer cette précieuse oreille intérieure qui est la condition sine qua non de l’apprentissage chez l’élève.

Enseigner à un élève qui « possède » la musique en lui, c’est-à-dire qui l’entend intérieurement, avant de tenter de  la jouer, est un acte pédagogique aisé : il suffit de transmettre les outils musicaux et techniques de l’interprétation sur l’instrument.

Hélas, son absence, ou sa faiblesse, crée une difficulté au moment de la transmission. Devenu pratiquement le seul médiateur entre la musique et l’élève, la mission du professeur est rendue très difficile car il doit prendre en charge simultanément deux tâches qui se chevauchent : faire émerger chez l’élève une véritable oreille intérieure précise, fiable et vivante d’une part, et lui enseigner des bases instrumentales d’autre part.

Or ces deux tâches se déploient sur deux dimensions temporelles distinctes : le temps court pour l’apprentissage instrumental, car les progrès doivent se voir dans l’intervalle du cours, et le temps long pour l’audition intérieure, qui se développe sur une autre échelle. Peut alors se développer chez l’élève le sentiment de réaliser des progrès trop lents, et chez le professeur le sentiment que les progrès attendus ne sont pas au rendez-vous. Non par manque de travail dans certains cas, mais à cause du faible rendement de l’enseignement dispensé et reçu.

Aujourd’hui plus qu’hier, chaque acteur concerné se trouve face à ses responsabilités. Nous verrons que tant d’une part le pédagogue et son établissement, que les parents et la société d’autre part, doivent, à l’issue d’un constat partagé, se donner à leur niveau les moyens de relever un nouveau défi.

Ce défi consiste ni plus ni moins à redonner, sans passéisme, un sens à l’apprentissage de la musique classique dans notre société.

Une réflexion sur “Et si les élèves écoutaient de la musique ?

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