La sensation kinesthésique, malgré son rôle central dans la pratique instrumentale, est souvent insuffisamment prise en compte par le musicien.
En situation de jeu celle-ci est, il est vrai, concurrencée par d’autres processus considérés comme prioritaires, comme la contrainte technique, la lecture de la partition ou encore la gestion plus ou moins réussie du trac.
La prise en compte de cette dimension sensorielle n’en demeure pas moins essentielle, notamment au moment de l’apprentissage. En effet, la maîtrise technique, la sonorité, la subtilité et la sensibilité artistique qui en découle ne peuvent s’épanouir qu’en prenant appui sur une conscience fine des sensations, patiemment et judicieusement associées aux gestes et à la posture lors du travail de l’instrument.
Sur un plan pédagogique, son intégration devrait donc constituer une priorité pour le professeur de musique, idéalement dans la période privilégiée des débuts instrumentaux de l’élève.
Comment prendre en compte très concrètement cette composante dans le cadre pédagogique ? Quels conseils pratiques efficaces donner aux guitaristes de tous niveaux pour affiner leur réceptivité aux sensations ?
Malgré la difficulté de rendre compte par des mots d’une expérience sensible propre à chacun, cet article proposera des directions de travail concrètes exploitables à tous niveaux.
Les prérequis indispensables
une position optimale, gage de réceptivité
Le corps du musicien est un outil raffiné et adaptatif qui répond en temps réel aux sollicitations de l’artiste, dans un mécanisme permanent de feed-back.
Ce feed-back (ou rétroaction) ne peut se réaliser de manière satisfaisante si corps est entravé dans son fonctionnement. C’est pourquoi le musicien doit adopter la position la plus fonctionnelle possible, lui permettant de jouer avec aisance et sans fatigue.
Il est important de poser le plus tôt possible les bases d’une technique saine en commençant par l’acquisition d’une position qui respecte l’ergonomie. En effet, des défauts posturaux entrainent une mauvaise utilisation des groupes musculaires et détournent l’apprenti guitariste des sensations fines qui devraient être associées au geste. Un tel fonctionnement créée inévitablement une trace corticale floue ou erronée, engendrant des schémas moteurs inappropriés.
La position elle-même, en raison de son importance capitale, fera l’objet d’un article spécifique, à paraître ultérieurement.
Un instrument et un matériel adaptés à la morphologie du musicien
Le corps du musicien peut s’adapter dans une certaine mesure à des instruments standardisés. Il arrive cependant, plus fréquemment qu’on le croit, que le corps du musicien s’éloigne des normes habituelles, à tel point que son jeu ne puisse s’épanouir de manière satisfaisante sur une guitare standardisée.
Cela arrive classiquement lorsque une femme avec des petits doigts joue sur une guitare de diapason standard (65 cm). L’effort déployé pour adapter les doigts aux écarts s’opposera alors à la pleine réceptivité des sensations. Une guitare de taille 7/8 s’impose alors.

Guitariste de grande taille, aux membres inférieurs longs. Un nouveau siège, plus haut, sera nécessaire afin d’assurer une position équilibrée et confortable.
L’inverse est parfois vrai dans le cas d’hommes de grande taille et longilignes. Si les doigts relativement longs sont plutôt avantageux pour le placement sur le manche, au niveau de la posture globale en revanche une grande taille du corps risque d’être problématique, la guitare se retrouvant positionnée trop basse. Des genoux qui se retrouveraient plus hauts que les hanches provoqueraient une tension dans les lombaires et favoriseraient un manque de maintien au niveau des épaules. Il conviendra, avec un siège adapté, plus haut que la moyenne et/ou un réhausseur, de compenser ces déséquilibres.
Chez les jeunes enfants, il arrive que les pieds ne touchent pas le sol, même avec une chaise basse. Une solution est alors de placer des cales sous les deux pieds, ce qui revient à baisser encore le siège.
D’une manière générale, si les questions posturales ne sont pas traitées convenablement, le guitariste sera tenté malgré lui de compenser les déficits sensoriels par des attitudes compensatoires. Hélas bien souvent de de manière illusoire, car ces gestes non seulement troublent le geste instrumental mais encore empêchent de percevoir cette juste sensation qui devrait être associée à un geste déterminé.
Une guitare bien réglée et de bonne qualité
Une règle simple à retenir est que la force s’oppose à la subtilité.
Une guitare de qualité insuffisante ou mal réglée (avec une action des cordes trop haute par exemple) est de nature à induire un jeu en force, tant à la main gauche qu’à la main droite. Un tel mode de fonctionnement empêche la prise de conscience des sensations fines.
Adapter le travail à sa laxité articulaire
Contrairement à une idée répandue, des articulations trop souples ne constituent pas toujours un avantage pour la pratique instrumentale. La stabilité des mains est nécessaire afin que les sensations provenant du contact avec l’instrument soient perçues avec fiabilité.
Ainsi, une hyperlaxité au niveau de l’articulation métacarpo-phalangienne du pouce gauche, dans le sens de l’extension, peut facilement favoriser un affaissement des arches naturelles de la main, et par voie de conséquence un mauvais placement des doigts. Il conviendra alors de rectifier cette disposition et de compenser cette hyperlaxité par une utilisation appropriée de la musculature de la main, en favorisant le tonus des muscles extenseurs et de l’abducteur du pouce.
Une laxité importante des articulations inter-phalangiennes distales peut amener le guitariste à adopter une position « en griffe » qui ne permet pas une sensation équilibrée des tensions à l’intérieur du doigt. En effet, dans ce cas de figure fréquent chez le jeune enfant, la pression du doigt contre la corde est concentrée au niveau de la dernière phalange et s’oppose à la prise de conscience d’un bonne répartition des appuis entre chaque articulation du doigt. Il conviendra peut-être de modifier les courbures naturelles de la main, ce qui peut nécessiter de rectifier la position du poignet.
Ces adaptations du jeu à la morphologie de l’élève implique bien sûr de la part du professeur une bonne connaissance de l’anatomie.
Des séances de travail bien conduites
La bonne conduite des séances de travail conditionne leur efficacité. C’est pourquoi il est important de travailler dans un cadre confortable, au calme, avec suffisamment temps devant soi. Les séances devront être bien calibrées, notamment au niveau de la durée. En effet, au bout d’un certain temps, tandis que des automatismes s’établissent, le mental devient moins réceptif et le jeu devient routinier.
Hygiène de vie
Ce prérequis semble évident, mais il peut être utile de le rappeler. Un travail sur les sensations demande de la concentration et donc de l’énergie mentale. Un instrumentiste fatigué, en manque de sommeil par exemple, aura plus tendance à jouer de manière semi-automatique et routinière, entretenant au mieux des acquis déjà ancrés.
Des séances de travail fructueuses nécessitent par conséquent un sommeil réparateur, idéalement la pratique régulière d’une activité physique équilibrante, tout comme une bonne alimentation. Inutile d’espérer être pleinement réceptif après un repas lourd et bien arrosé !
Par ailleurs, le stress de la vie quotidienne doit être limité autant que possible, et il est parfois bénéfique d’apprendre une technique de relaxation, comme le training autogène de Schultz.
Dans tous les cas il sera judicieux de prévoir un « sas de décompression » entre une activité stressante (professionnelle ou autre), et la séance instrumentale : période de calme, prise de distance avec l’activité précédente, respirations contrôlées, étirements etc.
La pleine conscience des sensations au cœur de la technique instrumentale
Favoriser le contrôle sensoriel dès le début de l’apprentissage
Pour le professeur, un des axes de travail prioritaires est, ou devrait être, de favoriser le contrôle sensoriel dès le début de l’apprentissage. Pour cela, il lui sera souvent judicieux de l’établir de manière ludique, au travers du jeu sensori-moteur, qui fait intervenir en feed-back action et sensation. Ce type de jeu est à la fois source chez l’enfant d’un grand plaisir, mais également la condition d’un apprentissage optimal.
Cette manière d’engager la pratique instrumentale devrait être perçue comme prioritaire, bien avant la maîtrise de la lecture de partitions. En effet, introduire trop tôt la lecture, alors que le geste technique ne serait que superficiellement mis en place, se ferait au détriment de la prise de conscience des sensations.
Chez l’enfant débutant à l’âge de 7-8 ans, comme chez l’élève plus âgé ou même l’adulte, que ce soit en situation de face-à-face avec le professeur ou en pédagogie de groupe, les jeux à dominante sensori-motrice ne manquent pas. Ils peuvent être conçus par le professeur, mais aussi proposés par l’élève ou le groupe d’élèves, en fonction des objectifs définis par le professeur.
Je proposerai ici à titre d’exemples quelques jeux possibles qui sont facilement intégrables au cours d’instrument. Autant que possible, la notion d’échec y est absente puisque l’élève au travers de ses tâtonnements fait un travail de type qualitatif.
Objectif : concrétisation d’une carte mentale du manche :
Retrouver sans l’aide de la vue la place des notes à la main gauche, en plaçant d’abord le pouce gauche puis les autres doigts, d’abord lentement à tâtons, puis de plus en plus directement.
Objectif : reconnaissance tactile des cordes à la main droite :
À la main droite : réussir à identifier le nom d’une corde donnée, uniquement en ressentant sa grosseur, sa matière et son élasticité ;
Objectif : associer reconnaissance des hauteurs et bon placement à la main gauche.
Le professeur joue un note quelconque sur une corde déterminée (par exemple la note ré sur la troisième corde). L’élève la retrouve à tâtons, à l’aveugle, après l’avoir chantée et entendue intérieurement ;
Objectif : appréhender efficacement les déplacement des doigts sur le manche
Sans regarder, monter avec un même doigt de case en case en sentant la sensation de la barrette sous le doigt (indiquant la bonne place du doigt de la main gauche). Ce travail subtil sera associé aux sensations de pression exercée par le pouce, et donc à la différence de pression existant au moment de l’arrêt sur la note et au moment du déplacement ;
Objectif : utiliser le moins de force possible pour appuyer à la main gauche
Sur une séquence donnée très simple, faisant intervenir de un à quatre doigts à la main gauche, il s’agira de passer très progressivement d’une sonorité étouffée type pizzicato (doigt simplement posé sur la corde) à une note clairement définie, en mémorisant la pression minimale.
Objectif : associer les différences de timbres à la sensation de résistance de la corde
L’élève expérimente les différents timbres exploitables sur la première corde, du son « métalique » près du chevet au son « flûté » sur la touche au niveau de la 12e case,. Il doit les associer à une sensation de résistance très spécifique au niveau de la main droite.
Bien entendu, chez les élèves plus âgés et les adultes, le travail pourra être davantage expliqué que chez les jeunes enfants, mais sans que l’intellectualisation ne vienne remplacer la sensation recherchée.
Ce type de travail sensoriel devrait se retrouver à tout niveau de la progression instrumentale, lors de la découverte d’un nouveau geste technique par exemple : barré, liaisons, sons harmoniques, pizzicato etc.
Plus spécifiquement, il sera primordial à proposer au moment de l’introduction du jeu avec les ongles, d’autant plus que le jeu avec les ongles offre un territoire sensoriel à la fois large et subtil à explorer : sensations d’échappement du doigt le long de l’ongle, tensions gérées avant l’échappement du pouce etc.
Au-delà de l’efficacité de ces orientations pédagogiques, une telle démarche encourage la créativité de l’enseignant tout comme la participation active de l’élève. À ce titre, elle revêt une grande importance sur le plan de sa motivation de chacun.
S’approprier ses sensations : développer et renforcer des référentiels sensoriels
Dans un deuxième temps, le jeu doit se transformer en travail conscient, destiné à préciser et renforcer ces référentiels sensoriels nouvellement installés. Les premiers gestes de l’apprentissage doivent donc être poursuivis et affinés.
Affiner et conforter sa tenue de l’instrument
Trop souvent le guitariste s’installe pour jouer avec son instrument de manière routinière : il se positionne et commence immédiatement à jouer. L’installation devrait cependant être un le moment privilégié de l’ancrage en pleine conscience dans ses bonnes sensations, celles qui offrent stabilité, concentration et confiance.
Il est recommandé de chercher à retrouver systématiquement les sensations identifiées comme bonnes. Endroit calme, hauteur du siège, du repose-pied ou du réhausseur identiques, placement de la tête, sensation du contact de l’instrument contre le corps, contrôle du poids du bras droit, placement du pouce gauche derrière le manche, accord de l’instrument etc. sont des paramètres, une fois définis comme corrects, qui doivent être recherchés consciemment et systématiquement.
Le placement des doigts contre les barrettes
Le placement des doigts de la main gauche contre les barrettes est absolument essentiel à un jeu net et précis. Il permet également de minimiser la pression nécessaire au doigt pour plaquer la corde contre la barrette, tout comme il constitue un repère sensoriel de premier ordre, indiquant au cerveau que le geste est correct.
Il permet enfin de mieux ressentir les déplacements, autorisant un jeu affranchi du contrôle visuel.
Un exercice simple, parmi d’autres, peut être effectué en aveugle : avancer de deux cases, reculer d’une :
Maîtriser la pression des doigts de la main gauche
La pression excessive exercée à la main gauche fatigue et pousse à compenser en jouant en force à la main droite. En engendrant un certain degré de crispation, elle limite la virtuosité du musicien, son bien-être comme son expressivité.
Cette pression doit donc être réduite au strict minimum, non seulement en plaçant les doigts de la main gauche contre les barrettes, mais également en réduisant au maximum la force compressive exercée par le pouce.
Le jeu sans le pouce peut dans ce but être introduit comme un exercice, à la condition de bien caler la guitare du côté droit à ce moment précis, pour éviter la rotation de la guitare. Dans un deuxième temps, une pression minimale du pouce sera réintroduite consciemment.
Définir et renforcer la modalité de contact des doigts de la main droite contre les cordes
Équivalents démultipliés de l’archet de violoniste, mais riches en capteurs sensoriels, les doigts de la main droite autorisent les sensations plus importantes du musicien : celles qui sont en relation directe avec le son. Ces modalités doivent être parfaitement identifiées, précisées puis recherchées systématiquement.
D’une manière générale, la zone de contact / échappement entre les cordes et les doigts de la main droite est souvent trop étendue. En conséquence, la sensation qui accompagne le geste est peu précise, quand elle n’est pas aléatoire. Caricaturalement, le son métallique souvent dédoublé de certains guitaristes provient d’une zone de contact entre le doigt et la corde éloignée de l’ongle.
Du point de vue de la recherche sensorielle, vaut-il mieux un jeu avec ou sans ongle ? Lors du jeu sans ongle une certaine imprécision dans l’attaque est inévitable, car la mollesse de la pulpe augmente la zone de frottement entre la corde et le doigt, mais la sensation est très présente.
Le jeu avec ongle, a contrario, permet de définir avec précision la zone d’attaque, à l’intersection de trois champs : ligne des cordes, arrête de l’ongle, champ de la pulpe.
C’est certainement, en plus du bénéfice en terme de sonorité, l’intérêt principal du jeu avec ongles, qui autorise ainsi une plus grande précision du jeu notamment dans les passages rapides.
L’objectif est que ce point d’intersection se transforme en zone de contact parfaitement définie, toujours maîtrisée de manière identique (ce qui exige par ailleurs obligatoirement un grand soin apporté à la taille de l’ongle), et associée à un sensation très fine. Cette sensation correspond initialement à une prise de contact en un point unique, puis à un échappement progressif le long de l’ongle, comme sur un rail.
Le travail d’arpèges simples, ou de gammes travaillées lentement, au cours desquels le guitariste se focalisera sur ces points de contact, offrira progressivement une stabilité et un assurance dans le jeu, en même temps qu’une sonorité précise et bien calibrée.
Encore une fois, ce type de travail implique nécessairement un grand soin apporté aux ongles, notamment en ce qui concerne leur taille et le polissage.
Le planting
le planting est un concept développé dès les années 1980 par des pédagogues américains tels que Charles Duncan (qui parle de « preparatory contact ») ou plus tard par Anthony Glise et repris plus récemment par Scott Tennant dans l’ouvrage à succès Pumping nylon.
Il s’agit d’une légère anticipation de l’attaque de la corde à la main droite par un « poser » du doigt avant l’échappement, de manière à favoriser une « adhérence » aux cordes pour accroître la fiabilité du geste.
En effet, la guitare étant un instrument à cordes pincées, le son n’est pas associé au geste dans un continuum sensori-moteur contrairement aux instruments à archets ou aux vents, si ce n’est par la sensation à la main gauche. Le planting permet de compenser cette solution de continuité sensorielle.
Le travail à développer consiste à prendre conscience du contact du doigt contre la corde légèrement avant l’attaque de la corde et donc la production du son.
Attention : je mets en garde le lecteur contre une utilisation trop élargie de cette technique qui peut se révéler pernicieuse. Autant un léger planting simple, c’est-à-dire note après note, est bénéfique au contrôle instrumental, autant un planting combiné (posant plusieurs doigts à l’avance dans des combinaisons complexes) peut se révéler dangereux car affaiblissant la carte corticale.
La sensation au centre du travail instrumental
Sensation et apprentissage d’une nouvelle pièce
D’une certaine manière, le musicien même avancé se retrouve, lors de l’apprentissage d’une nouvelle pièce, dans la même situation qu’un guitariste débutant apprenant les gestes de la technique de base.
Il est en effet rare qu’une nouvelle pièce soit une simple recomposition de gestes maîtrisés auparavant.
Chaque note, caractérisée par une sensation à la main droite et à la main gauche, chaque nouvel enchaînement, chaque nouveau déplacement doivent être travaillés en pleine conscience au niveau de la sensation tactile pour être correctement intégrée.

Divertissement, A. Cano-Curriela Chaque note est caractérisée par un doigté spécifique à chaque main, en rapport avec une sensation qui doit être parfaitement consciente
Maîtriser les démanchés grâce au contrôle tactile
Les démanchés sont des gestes techniques qui requièrent un grand contrôle. En effet, au-delà de la précision requise en relation avec la distance de déplacement, le démanché ne peut s’effectuer que lorsque la pression des doigts de la main gauche se relâche partiellement. Le démanché doit également intégrer la conscience des barrettes, qui à la fois concrétisent la distance mais aussi notifient le point d’arrêt du geste.
Des exercices spécifiques au travail des démanchés peuvent être facilement inventés. Tout leur intérêt résidera dans la qualité de la prise de conscience du geste, d’un point de vue tactile et proprioceptif.
Introduire des phases de relâchement conscient tout au long du jeu
À la respiration musicale doit correspondre une « respiration technique ». Celle-ci consiste en un temps de relâchement qui peut aller d’une fraction de seconde à une période de plusieurs secondes, notamment en fin de phrase. Notons que la périodicité de la phrase classique se prête parfaitement à cette idée de relâchement, ce qui n’est pas un hasard.
Ces respirations techniques ne doivent pas se transformer en maniérisme ou en tics stériles, mais correspondre réellement à des temps de resynchronisation sensoriels. Lors de tels moments, le musicien procède à un rafraîchissement de sa conscience globale, lui procurant bien-être, sécurité technique et endurance.
Concrètement, cette respiration technique peut prendre la forme d’un replacement des doigts de la main droite sur les cordes, d’un replacement du pouce de la main gauche derrière le manche, d’une anticipation du geste à venir ou bien plus généralement d’une prise de conscience globale de la posture.
Il est à noter qu’un compositeur tel que Sor avait bien compris l’importance de cette notion, au point d’en faire le sujet de plusieurs études. Dans les études op 31 no 20 et op 35 no 11, aux silences musicaux doivent correspondre un relâchement de la main gauche, afin notamment de faciliter les déplacements.

Fernando Sor, étude op31 no20 Les demi-soupirs permettent une respiration technique de nature à favoriser le travail de la main gauche
Sensation et mémorisation
Lorsque l’on parle de mémoire, il convient de préciser si l’on fait référence au processus d’acquisition (« mémorisation ») ou au processus de restitution (jeu « de mémoire »).
Il convient ici de développer un concept important, celui de mémoire procédurale.
Ce que l’on appelle mémoire procédurale est une aptitude à reproduire notamment des gestes déjà réalisés, comme par exemple lorsque l’on apprend à faire de la bicyclette. Cette mémoire, qui est tout à fait essentielle pour assimiler les gestes techniques de base, tels que l’alternance des doigts à la main droite ou la synchronisation des deux mains, s’acquiert en apparence grâce à la simple répétition du geste. Ceci est vrai jusqu’à un certain point.
À tort, certains guitaristes considèrent qu’un fragment musical « entre » dans la mémoire à force de simples répétitions. Fort souvent, en situation de stress scénique notamment, les traces de cette mémorisation se révèlent très insuffisantes pour permettre une restitution fiable.
À ce niveau, il peut donc être intéressant de dissocier ce qui relève de la mémoire procédurale pure, qui permet une répétition de l’action de manière automatique donc inconsciente (comme conduire une automobile par exemple), et le jeu que l’on peut qualifier de « semi-automatique« .
Celui-ci implique un contrôle en temps réel sur l’action grâce à la sensation. C’est justement cette situation, que l’on pourrait qualifier de « vigilance dirigée » que le musicien doit rechercher et développer.
Concrètement, le musicien tirera un grand avantage à utiliser au mieux la mémoire kinesthésique au moment de la phase d’acquisition. Pour cela, il devra faire un travail de prise de conscience très poussé des sensations qui correspondent aux différents gestes correspondant à l’exécution du morceau. Ainsi, à chaque note devront être associées les sensations correspondant à chaque main.
Au moment de la restitution par cœur, il s’appuiera sur la mémoire de ces sensations pour retrouver le fragment musical, tel un fil d’Ariane.
Chaque répétition renforçant ces associations, le musicien pourra à cette condition compter sur leur fiabilité au moment de jouer par cœur.
Sensation et trac
Les sensation intégrées au jeu instrumental sont de précieuses antidotes au trac, et ce, par deux canaux différents.
Le trac, ou anxiété de performance, est parfois un feed-back qui renseigne avec fiabilité sur la qualité de l’apprentissage. Le trac se produira en effet d’autant plus que la pièce aura été mal ou insuffisamment assimilée.
Une mémorisation qui aura fait appel à une prise de conscience très poussée au niveau des sensations, sera de nature à réduire l’anxiété de performance.
Par ailleurs, au moment de débuter son interprétation publique, le musicien qui aura pris l’habitude de s’installer dans ses sensation habituelles accèdera immédiatement à ses ressources intérieures. La focalisation sur ses sensations, empêchant par là-même les pensées négatives, le conduira à une concentration optimale lui permettant de faire abstraction de la situation anxiogène.
Vers le travail mental
La concentration sur les sensations ouvre la porte au travail mental. Les sensations vécues en pleine conscience peuvent être évoquées sur un mode imaginaire. Le musicien peut dès lors travailler certains passages hors instrument, et valider ou non la maîtrise de ces passages en évaluant la précision de ces traces mnésiques.
Il peut également se jouer mentalement son programme instrumental complet et se projeter dans des situations progressivement de plus en plus anxiogènes afin d’affaiblir le stress de performance.
Cette technique de visualisation, très efficace, s’apparente à une désensibilisation systématique.
Conseils pratiques
chez l’élève
Afin de rendre réceptif l’élève au travail sensoriel, des préalables simples sont indispensables.
Chez le jeune élève il s’agira notamment de se laver les mains et de se couper soigneusement les ongles à la main gauche afin de retrouver des sensations identiques à chaque séance de travail.
L’élève plus avancé prendra garde en plus à ne pas conserver trop de corne aux doigts de la main gauche, afin de bien ressentir les sensations et prendre conscience des pressions excessives qui seraient anesthésiées par l’épaisseur de la peau
La hauteur du siège et du repose pied, une fois définis, seront fixes et, le professeur doit s’en assurer, identiques avec le matériel utilisé en cours.
les changements de référentiels chez le guitariste avancé
Plusieurs situations peuvent conduire le musicien à devoir modifier ses référentiels sensoriels personnels. Le cas le plus classique est celui du changement de technique. Le changement d’instrument (dans une moindre mesure le changement de marque ou de tirant de cordes), tout comme une modification même minime de la taille ou de la forme de l’ongle engendrent également une changement au niveau des référentiels internes du musicien.
Le musicien qui modifierait trop brusquement ses habitudes serait au centre d’un conflit entre ses nouvelles sensations et ses référentiels sensoriels profonds, déstabilisant le feed-back préétabli. À la manière d’un chanteur n’ayant pas de retour sur scène et chantant faux, le musicien jouant avec un feed-back tronqué par des sensations trop nouvelles ne pourrait jouer comme à son habitude.
Dans ces cas il est indispensable d’envisager ces modifications dans la durée, souvent sur plusieurs jours au minimum, voire plusieurs semaines, et en intégrant des séances spécialement dédiées au travail sensoriel, brèves mais fréquentes.
La situation de prestation en public
Cette situation est souvent l’aboutissement d’un long travail réalisé dans des conditions très précises (la salle de travail par exemple) mais qui se transpose brutalement dans un tout autre environnement : acoustique différente, sensations de froid ou de chaud, lumière souvent très modifiée etc. Les différences de sensations liées à l’anxiété de performance, très personnelles, doivent également être prises en compte : sudation excessive, tremblements dus aux montées d’adrénaline, doigts engourdis et/ou froids en raison de la vaso-constriction etc.
Au-delà de la nécessité d’être parfaitement préparé tant sur le plan technique qu’émotionnel afin de diminuer l’anxiété de performance, il est utile de rappeler ou de proposer un certain nombre de conseils de bons sens.
Parmi ces conseils, on trouvera par exemple :
- La nécessité de bien s’échauffer dans le but de reprendre contact avec ses sensations habituelles , ce qui constituera un véritable réveil sensoriel.
- La plus grande prudence à observer concernant le changement de taille ou de forme des ongles, même minime, au tout dernier moment
- L’anticipation des sensations de froid (dans une église par exemple) en se vêtissant d’une manière appropriée, et en luttant contre le froid aux mains dû à la vasoconstriction. Il pourra s’agir de se réchauffer les mains avant la prestation avec un sèche-cheveu, ou bien de se brosser énergiquement les mains et les avants-bras. Si les mains doivent être lavées, il faut le faire très brièvement et bien se les sécher.
- Avant l’entrée sur scène, bien reprendre contact avec ses sensations au niveau des doigts, surtout si une modification même mineure a été apportée peu avant : lavage des mains, limage des ongles etc.
Sensations et prévention
Une grande réceptivité aux sensations provenant de sa pratique instrumentale représente pour le musicien, outre les bénéfices artistiques énoncées précédemment, la meilleure des assurances contre les pathologies qui le menacent : tendinites et troubles musculo-squelettiques divers, syndrome de surmenage, mis-use, dystonies etc.
La définition et le renforcement de référentiels propres doivent lui permettre de prendre conscience des moindres signaux d’alerte provenant de ses canaux sensoriels et de modifier sa pratique en conséquence, soit en réduisant la quantité de travail, soit en recherchant les causes d’un dysfonctionnement avec si nécessaire l’aide d’un thérapeute spécialisé.
Dans le cas particulier (mais qui n’est pas si rare) de modifications des perceptions sensorielles pour des raisons médicales : perte d’audition, compressions nerveuses, paresthésies etc., l’établissement de référentiels antérieurs solides doit permettre au musicien un auto-diagnostic précoce conduisant à une consultation avec un praticien spécialisé.
Et voici l’adresse dudit blog : http://josedetourris.over-blog.com/ Vous voyez je progresse… A-F T
Bonjour ! Figurez-vous que je me lance dans la création d’un blog au nom de mon père pour y entrer archives et surtout quelques unes des nombreuses transcriptions qu’il a pu faire. Le blog est en place, via overblog, j’y ai mis quatre partitions mais pour autant je n’ai pas encore trouvé le moyen d’y accéder de l’extérieur… Chronophages les nouveaux moyens de communication ! Jacques Guichard, journaliste au Maine-Libre, vient voir mon père demain avec l’intention de lui consacrer un article, à l’occasion des ses 90 ans qu’il fête la semaine prochaine. Bien-sûr il lui communiquera l’adresse de votre blog. Et si vous souhaitez qu’on lui transmette d’autres informations ce sera avec plaisir. Nous gardons un très bon souvenir de la soirée à Sablé. Que vive la musique ! Bien cordialement, A-F de Tourris