Le trac et la leçon de pédagogie de René Descartes

rené Descartes

René Descartes (1596-1650), portrait de Frans Hals

René Descartes, mathématicien, physicien et philosophe français du XVIIè siècle, est probablement l’un des esprits les plus brillants de son époque.

Chaque lycéen français a étudié son Cogito ergo sum (« je pense donc je suis »). Il est peu reconnu cependant que Descartes aura été l’un de ceux qui, à son époque, aura traité avec autant d’acuité et de modernité le thème des passions. Rappelons que la thématique de la passion est un sujet de recherche pour les artistes et philosophes du Grand Siècle : elle se trouve dans les compositions musicales (tragédie en musique) autant que dans le portrait, musical, pictural ou littéraire.

l'Effroi, par Charles le Brun (1619-1690)

l’effroi, par Charles le Brun (1619-1690)

Problématique des passions

Les passions, que l’on traduirait aujourd’hui par émotions, intéressent le musicien au plus haut point. C’est en effet par « passion » qu’il s’engage dans une voie longue et difficile, celle de l’apprentissage et de la maîtrise de la musique, mais c’est aussi parfois ses propres passions que le musicien redoute.

En effet, le trac, que l’on dénomme aujourd’hui volontiers « anxiété de performance », est sans aucun doute un des facteurs limitants qui passe pour être le plus problématique. Pour certains, le trac est un mal inévitable, un véritable ennemi intérieur, en mesure de remettre en question une prestation voire la carrière d’un musicien.

Le raisonnement de Descartes

Dans les passions de l’âme, René Descartes nous délivre une véritable leçon de pédagogie, puisqu’il pose les bases de la théorie du réflexe conditionné de Pavlov, anticipe les thérapies comportementales du XXè siècle puis les méthodes modernes de coaching de préparation à la performance scénique.

Dans son traité de 1649, le philosophe écrit :

Art. 50. Qu’il n’y a point d’âme si faible qu’elle ne puisse, étant bien conduite, acquérir un pouvoir absolu sur ses passions.

Et il est utile ici de savoir que, comme il a déjà été dit ci-dessus, encore que chaque mouvement de la glande semble avoir été joint par la nature à chacune de nos pensées dès le commencement de notre vie, on les peut toutefois joindre à d’autres par habitude, (369) ainsi que l’expérience fait voir aux paroles qui excitent des mouvements en la glande, lesquels, selon l’institution de la nature, n250px-Descartes_Les_passions_de_l'amee représentent à l’âme que leur son lorsqu’elles sont proférées de la voix, ou la figure de leurs lettres lorsqu’elles sont écrites, et qui, néanmoins, par l’habitude qu’on a acquise en pensant à ce qu’elles signifient lorsqu’on a ouï leur son ou bien qu’on a vu leurs lettres, ont coutume de faire concevoir cette signification plutôt que la figure de leurs lettres ou bien le son de leurs syllabes. Il est utile aussi de savoir qu’encore que les mouvements, tant de la glande que des esprits et du cerveau, qui représentent à l’âme certains objets, soient naturellement joints avec ceux qui excitent en elle certaines passions, ils peuvent toutefois par habitude en être séparés et joints à d’autres fort différents, et même que cette habitude peut être acquise par une seule action et ne requiert point un long usage. Ainsi, lorsqu’on rencontre inopinément quelque chose de fort sale en une viande qu’on mange avec appétit, la surprise de cette rencontre peut tellement changer la disposition du cerveau qu’on ne pourra plus voir par après de telle viande qu’avec horreur, au lieu qu’on la mangeait auparavant avec plaisir. Et on peut remarquer la même chose dans les bêtes ; car encore qu’elles n’aient point de raison, ni peut-être aussi aucune pensée, tous les mouvements des esprits et de la glande qui excitent en nous les passions ne laissent pas d’être en elles et d’y servir à entretenir et fortifier, non pas comme en nous, les passions, mais les mouvements (370) des nerfs et des muscles qui ont coutume de les chien d'arrêtaccompagner. Ainsi, lorsqu’un chien voit une perdrix, il est naturellement porté à courir vers elle ; et lorsqu’il oit tirer un fusil, ce bruit l’incite naturellement à s’enfuir ; mais néanmoins on dresse ordinairement les chiens couchants en telle sorte que la vue d’une perdrix fait qu’ils s’arrêtent, et que le bruit qu’ils oient après, lorsqu’on tire sur elle, fait qu’ils y accourent. Or ces choses sont utiles à savoir pour donner le courage à un chacun d’étudier à régler ses passions. Car, puisqu’on peut, avec un peu d’industrie, changer les mouvements du cerveau dans les animaux dépourvus de raison, il est évident qu’on le peut encore mieux dans les hommes, et que ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur toutes leurs passions, si on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire.

l’importance de l’habitude

Pour Descartes en effet, les passions (nous dirions les émotions), sont dans le cas des animaux dressés engendrées par l’habitude. Ainsi, le chien d’arrêt ne saute pas sur la perdrix, et accourt en entendant le fusil, alors que son instinct lui commanderait de s’enfuir. Le même phénomène s’appliquerait avec évidence a fortiori sur les hommes, leur permettant en quelque sorte, par l’exercice, de modifier leurs émotions primitives ou induites par l’habitude.

Sur le plan musical

Sur un plan musical, cette notion a des implications essentielles au niveau de la performance. Certains musiciens prennent l’anxiété de performance pour une fatalité qui serait la conséquence même de leur incompétence ou inaptitude. Chacun d’entre nous est gouverné par ses croyances personnelles !

Or le raisonnement cartésien nous suggère que ces émotions sont des conséquences d’habitudes, prises malheureusement au cours d’expériences négatives subies, se transformant parfois en véritable phobie de la scène.

Cependant le philosophe nous suggère que si le chien peut s’arrêter devant la perdrix, « avec un peu d’industrie », les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur toutes leurs passions, si on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire.

Des implications concrètes

Le trac n’est donc pas une fatalité. Le trac ne doit pas être combattu frontalement, mais modifié jusqu’à devenir une émotion stimulante et positive, qui permet d’exprimer tout le potentiel du musicien :

[les réflexes conditionnés] peuvent toutefois par habitude en être séparés et joints à d’autres fort différents, et même que cette habitude peut être acquise par une seule action et ne requiert point un long usage.

Zhao, Ji (1082-1135) - Listening to the lute

Zhao, Ji (1082-1135), en écoutant le luth

Des thérapies comportementales efficaces, telle la désensibilisation systématique, des techniques de relaxation comme le training autogène de Schultz (sous la direction d’un praticien confirmé), sont des techniques efficaces pour résoudre définitivement le trac en tant que problème.

Mais avant toute chose, il est essentiel de poser la question de la prévention du trac. Le professeur responsable, l’école de musique dans ses projets et ses évaluations, auront à cœur de ne pas soumettre le jeune élève à des situations excessivement anxiogènes, ce qui devrait de nos jours être considéré comme une véritable faute professionnelle.

sources :

les passions de l’âme : fac similé de l’édition de l’édition de 1649

Les_passions_de_l_ame , le recueil en format texte

Article wikipedia : René Descartes

Médiathèque de la cité de la musique : figures de la passion

Une réflexion sur “Le trac et la leçon de pédagogie de René Descartes

  1. Oui, comme méthode thérapeutique, effectivement le training autogène de Schultz mais c’est peut-être un peu difficile à chercher et à trouver pour qui ne s’y connait pas. En fait un thérapeute spécialisé aussi en hypnose fera très bien l’affaire pour le trac, grâce à des techniques qu’il vous transmettra pour utiliser l’auto-hypnose, par vous même donc, en qqs consultations pour y arriver facilement. Souvent demandé aussi pour l’oral du bac notamment ;-))

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