L’un des objectifs prioritaires du professeur de musique devrait être le développement de l’oreille intérieure de ses élèves. Cette capacité à entendre mentalement les sons, et notamment la musique, était à juste titre considérée par Edgar Willems comme étant un critère majeur du sens musical.
Une oreille intérieure aiguisée et fiable sera en effet la base solide qui permettra le développement de deux aptitudes essentielles pour l’apprenti musicien : le développement de la mémoire musicale et le contrôle en temps réel (feed-back) du jeu instrumental. Elle permettra ensuite d’envisager d’autres horizons que sont l’improvisation, nécessitant d’entendre avant de jouer, la composition ou encore la direction d’ensembles.
L’oreille intérieure devrait ainsi être un objectif prioritaire de toute formation musicale, lui donnant sens, sens à considérer comme direction mais aussi comme incarnation sensible.
Pour la développer chez l’élève, le professeur dispose d’une palette d’outils relativement étendue qu’il utilise souvent de manière intuitive. Les plus courantes sont par exemple de faire chanter un fragment travaillé, ou bien de le faire répéter à l’instrument sans passer par la partition etc.
Parmi les outils les plus efficaces, il en est un qui est injustement peu développé dans le cadre de l’enseignement de la musique classique. Les jazzmen en revanche le connaissent bien, ainsi que tout musicien abordant les styles comportant une forte dose d’oralité, comme le flamenco par exemple. Cet outil, c’est le relevé musical d’une pièce ou d’un fragment non écrit en partition.
Dans bien des cas, la raison principale de l’utilisation de cette méthode d’appropriation réside tout simplement dans l’impossibilité de procéder autrement. Le flamenco par exemple n’est pratiquement pas écrit, et en tous cas l’écriture n’est pas un moyen de transmission utilisé dans l’apprentissage, car les effets obtenus ne sont que difficilement et incomplètement retranscriptibles.
En vérité, rien n’empêche de l’appliquer dans le domaine de l’apprentissage de la musique classique, y compris en conservatoire avec de jeunes élèves ! L’efficacité de cette méthode sur le plan du développement de l’oreille se combine en effet avec de nombreux avantages sur le plan de l’apprentissage de la musique de manière plus générale.
Les ressorts pédagogiques spécifiques sur le plan de l’apprentissage
Il est possible de considérer la pratique du relevé musical comme une adaptation technologique du principe de répétition directe.
Traditionnellement dans les cultures de tradition orale, le musicien joue et l’élève répète. Un procès simple, répété plusieurs fois, qui amène, parfois par tatonnement, l’élève à imiter fidèlement le modèle. Ce phénomène similaire se retrouve dans les comptines ou les chansons enfantines par exemple, dont les nombreuses répétitions permettent de fixer la chanson dans la mémoire. Le call and response du gospel participe du même principe. Dans l’enseignement choral, lorsque les chanteurs ne lisent pas la musique, il n’est d’ailleurs pas envisageable de procéder autrement !
Cette technique d’apprentissage peut être différée dans le temps lorsque le modèle est enregistré. Ainsi le jazzman peut-il relever note à note les improvisations de Miles Davis dans Kind of blue, et le guitariste peut-il « repiquer »les falsetas de Paco de Lucia, grâce hier au magnétophone à bande, et grâce aujourd’hui aux enregistreurs numériques.
A force d’écouter cinq fois, dix fois, vingt fois le même passage, afin de tenter de la reproduire, l’élève imprime de manière solide la musique dans sa mémoire, et développe naturellement son oreille intérieure. Par ailleurs, il établit des connexions directes entre la mélodie entendue et le doigté de son instrument, contribuant à s’approprier de manière concrète le passage musical en développant une mémoire des gestes associée à la mémoire des sons.
Une question d’encodage
Du point de vue du processus, le relevé musical consiste en un encodage direct de la musique, attribuant à la mémoire le rôle d’enregistrer celle-ci à la manière d’un magnétophone. Il s’agit donc un processus analogique :
objet musical ———————–>mémorisation chez le sujet
A contrario, l’apprentissage avec médiation de l’écrit implique un processus de décodage de la partition, de type numérique
objet musical——————support codé———->décodage———->restitution
On voit bien les grandes différences existant entre les deux processus. Le procès analogique est direct, le procès numérique ou digital implique une séquence supplémentaire de décodage, avec les risques d’erreurs qui s’y ajoutent. Enfin et surtout, le premier procès implique la mémorisation (au moins à court terme) alors que le deuxième l’exclue, au moins à ce niveau.
Des bénéfices spécifiques
L’un des avantages d’un encodage direct est son adaptation possible à tous les âges et également à toutes les stades de la maîtrise instrumentale possibles, car il est possible de jouer sur beaucoup de paramètres, tels que le nombre des répétitions, la vitesse d’exécution, la durée des fragments proposés etc. De plus, en tentant d’imiter le modèle sur son instrument, l’élève travaille également le geste, et en fin de compte fait naturellement des progrès sur l’instrument.
Une méthodologie à préciser dans le cadre pédagogique
les conditions d’une application adaptée sont relativement aisées à obtenir. Si dans le cas d’un jeune élève, il n’est pas question de lui confier un magnétophone ou un enregistreur numérique en lui disant : débrouille-toi !, en revanche il est possible de trouver des situation particulièrement adaptées, en favorisant de sa part un travail actif et stimulant.
Si le professeur est seul face à l’élève, il pourra se retourner, jouer un simple fragment d’un morceau simple, celui à apprendre, et conduira l’élève à le retrouver par tatonnement, en chantant si nécessaire. Dans le cadre d’une pédagogie de groupe, une élève A pourra jouer un fragment , l’élève B devra le retrouver et l’élève C aura comme mission de vérifier l’exactitude de la restitution. A ce stade, il s’agit en fait d’une forme de dictée musicale active, sous forme de jeux de rôles, présentant l’avantage d’avoir un sens instrumental et de ne pas favoriser le sentiment d’échec, le fragment étant adapté et les erreurs tout à fait tolérées. Le professeur devra cependant s’assurer que l’élève B entend le fragment dans sa tête avant de tenter de le retrouver sur son instrument.
Chez l’adolescent, déjà formé à l’autonomie, souvent féru de nouvelles technologies, il pourra être question de retrouver d’oreille un morceau simple, de classique ou bien d’un autre style. Le travail pourra se faire à la maison, grâce à des logiciels libres type audacity, permettant par ailleurs de lire l’extrait à vitesse réduite sans modification de la hauteur. Ensuite, il pourra être demandé à l’élève d’écrire la pièce et le la mettre en partition. Le professeur s’assurera au cours suivant de la pertinence de la méthodologie de l’élève. Il pourra aussi enregistrer lui-même l’exemple, en possédant simplement un enregistreur audio-numérique de type ZOOM ou TASCAM, et laisser une copie du fichier à l’élève sur une clé USB.
Chez l’apprenant autonome, non guidé par un professeur, cette manière de procéder pourra être une manière alternative et ludique de mémoriser de nouvelles pièces, à partir d’enregistrements trouvés sur des disques ou sur le net. Il développera une aptitude à mémoriser rapidement et précisément ses pièces, affinera son oreille, trouvera des doigtés alternatifs audacieux qui lui permettront de s’approprier totalement l’œuvre abordée. Il étudiera ainsi de manière ludique et stimulante avant de vérifier sur la partition la pertinence de son travail.
Le professeur, enfin, pourra y trouver plusieurs avantages dans le cadre de son enseignement, en élargissant sa palette de styles enseignés comme de séquences pédagogiques. Il sera en effet en mesure aborder des styles qui traditionnellement ne sont pas écrits, comme le flamenco ou le blues. Il gagnera du temps en enregistrant à ses élèves des motifs, fragments, exercices, plutôt qu’en les écrivant, temps qui pourra être consacré à donner l’exemple ou vérifier d’autres aspects importants. Cette méthode lui permettra par ailleurs d’enseigner efficacement aux élèves présentant des difficultés de lecture lorsque celle-ci freine l’apprentissage des pièces.
Enfin et surtout, il y trouvera un moyen efficace d’impliquer ses élèves en les rendant totalement actifs (notamment dans la pédagogie de groupe). De son côté, en évitant de sombrer dans la routine, il sera en mesure de transmettre cet enthousiasme qui constitue une grande partie de l’efficacité de son enseignement !
Oui j’ai apprécié.j’aimerais un plan précis du relevé de la mélodie.chercher d’abord la carrure du morceau ou d’abord les notes ou d’abord la tonalité ou d’abord le rythme etc ?…
Merci infiniment pour cet article et pour la clarté de vos explications.