L’un des principaux enjeux du guitariste, et du musicien en général, est d’acquérir une efficacité maximale dans le travail instrumental. Qu’il soit débutant ou professionnel, son objectif prioritaire est, ou devrait-être, d’accéder à une efficience maximale en termes d’apprentissage. Et si certes le musicien avancé ne travaille pas les mêmes aspects que le débutant, les problématiques demeurent.
Nous avons entrevu ici l’intérêt de la prise en compte du facteur temps dans l’apprentissage. Nous y reviendrons abondamment.
Concentration et mode de travail
C’est un lieu commun de considérer que la clé de l’apprentissage efficace est la concentration. Mais plus précisément, qu’est ce que cette concentration, et comment l’améliorer ? Le terme, trop général, n’est pas de grande utilité. Je développerai plutôt ici le concept de mode de travail, plus imagé et plus concret, et en fin de compte plus utile.
Un mode de travail est une direction précise que se donne le musicien en situation d’apprentissage. Il se concrétise par l’utilisation seule ou combinée d’outils cognitifs spécifiques, de gestes mentaux et physiques : déchiffrage sur ou sans l’instrument, répétition mentale, choix de doigtés, répétitions à différents tempi…autant de gestes qui correspondent à des objectifs précis.
Le concept de base est que le guitariste, s’il recherche l’excellence dans l’apprentissage, doit être parfaitement conscient du mode de travail dans lequel il se trouve, situation qu’il devra au fil du temps affiner et renforcer, en un mot : optimiser.
Les trois modes principaux
Je distinguerai ici trois modes principaux de travail :
- Mode 1 : le mode découverte : le guitariste découvre une nouvelle partition qu’il déchiffre, il essaye une nouvelle guitare, il improvise avec un collègue. Le plaisir et la curiosité sont les principaux moteurs de ce mode de travail.
- Mode 2 : le mode didactique : le guitariste apprend avec soin sa partition, il examine les différentes possibilités de doigtés, il cherche sa sonorité, il travaille son texte à différents tempi. C’est le moment où le musicien met au point sa pièce.
- Mode 3 : le mode performance : maintenant que le musicien est en possession de son texte, il fait des « filages » de son programme, c’est-à-dire des répétitions dans les conditions réelles ou imaginées. À ce stade le musicien est encore en situation d’apprentissage, mais son travail tend à se rapprocher de la situation du concours, de l’audition ou du concert.
Chacun de ces modes est indispensable à un apprentissage équilibré et efficace. Dans la pratique, le musicien passera classiquement du mode 1 au 2 puis au 3. Cependant, dans un deuxième temps, la navigation entre les modes sera souvent indispensable.
En effet, le jeu en mode 3 permettra probablement d’affiner un diagnostic d’insuffisance de travail en mode 2. De même, il sera parfois utile pour maintenir sa motivation de se reconnecter en mode 1, afin de se ressourcer et retrouver les premières sensations qui ont engagé le musicien dans la démarche d’apprentissage.
Nous noterons qu’en situation d’improviser, rare pour le musicien classique, les modes 1 et 3 sont fusionnés.
Les situations conflictuelles
Les problèmes au niveau de l’apprentissage se posent lorsque le guitariste ne canalise pas son travail, qui évolue dans différents modes en même temps : c’est la problématique de l‘épanchement d’un mode sur l’autre.
Il s’agit par exemple du cas typique de l’élève qui joue son morceau à son professeur, mais se reprend systématiquement à chaque fausse note, ce qui fait que toute pulsation sous-jacente est détruite : le morceau n’a plus aucun sens, et pourtant l’élève croit bien faire ! Il s’agit d’une confusion fréquente entre mode 2 et mode 3.
Mais les problèmes se présentent aussi lorsque le travail ne se base pas sur une répartition harmonieuse des différents modes : le musicien qui ne passerait pas assez de temps en mode 1 « n’emmagasinerait » pas suffisamment de plaisir ou d’émotion pour travailler sans aridité dans le mode 2, ce qui peut rendre sa performance très mécanique.
A l’inverse, l’instrumentiste qui passerait trop rapidement du mode 1 au mode 3 aurait du souci à se faire…maîtrisant sans doute insufisamment son texte, il risque la défaillance au moment de la vraie performance.
Enfin le guitariste qui négligerait le mode 3 prend le risque de ne pas avoir été mis convenablement en situation d’expérimenter son programme avant d’affronter la scène. Or, ces mises en situations sont des feed-back indispensables pour retourner en mode 2 afin de régler les derniers détails, imprévisibles tant que l’on a pas expérimenté le mode 3. C’est le cas classique de l’élève qui croit maîtriser sa pièce (ce qui est en partie vrai) mais s’effondre à l’examen, par manque de préparation.
Le rôle du professeur
Le professeur a un rôle fondamental dans l’appropriation de ces notions par l’élève. En effet, sa pédagogie lui permettra selon les cas de les intégrer et de les préciser, ou au contraire induira de la confusion.
Le professeur devra ainsi être parfaitement conscient d’un mode dans lequel se trouvera l’élève en train de pratiquer. Concrètement, il se gardera de l’interrompre alors que l’élève lui joue intégralement sa pièce (mode 3), pour faire un « debriefing » sérieux et exhaustif à la fin de la prestation.
En revanche, en mode 2, il ne devra pas laisser les fautes de texte s’installer en n’intervenant pas. Il devra faire répéter plusieurs fois les passages retravaillés et corrigés, en s’assurant que ces passages sont correctement et définitivement intégrés, et non pas une seule fois comme c’est trop souvent le cas.
Enfin, le professeur devra bien préciser les objectifs du jeu en mode 1 : s’il s’agit de déchiffrage, il n’est pas question de revenir en arrière en cas d’erreur de lecture, mais bien de s’offrir une première vue d’ensemble cohérente d’une pièce (à travailler de manière détaillée dans un deuxième temps seulement).
Tout ceci implique un certain nombre de qualités nécessaires au professeur de musique.
Il lui sera nécessaire notamment d’avoir mené une réflexion approfondie sur la pédagogie et la didactique, de posséder une aptitude à se mettre à la place de l’élève afin de pouvoir comprendre ses ressorts internes mais également une capacité à se mettre en retrait et à prendre du recul sur ses propres pulsions (notamment le désir de relever immédiatement les fautes chez l’élève alors que le moment n’est pas approprié).
Enfin il et plus que souhaitable que le professeur, en tant que musicien, ait expérimenté consciemment cette démarche lors de sa propre pratique artistique, afin d’en saisir la pertinence et l’efficacité.
En résumé :
Le professeur expérimenté doit être en mesure de définir pour l’élève le mode à privilégier à un moment donné de l’apprentissage.
Le guitariste expérimenté sait quant à lui, consciemment ou non, qu’il est dans le mode le plus pertinent, ce qui lui assure efficacité dans le travail et confiance dans ses capacités intérieures.
La bonne gestion des modes de travail, gage du travail efficace, est aussi ce que l’on pourrait appeler le « métier », et c’est ce vers quoi doit tendre l’apprenti musicien, seul ou l’aide de son professeur.
Bref, pour être un bon guitariste, ne cherchez pas à être à la mode, cherchez à être dans le mode !
Hello Matthieu,
Je suis entièrement d’accord avec toi sur le plan méthodologie et approche de l’apprentissage au sujet du développement de la concentration mais surtout de « la conscience » pour améliorer notre efficience.
De mon côté, je demande à mes élèves d’avoir un objectif musical (qui est une énorme source de motivation pour eux et une direction pour ma pédagogie), que je vais ensuite diviser en objectifs intermédiaires.
Suite à cela, je vais sélectionner les exercices adéquats et structurer le tout dans un plan de travail comprenant plusieurs modules de travail.
Le but est de leur faire atteindre leur objectif de manière efficiente mais surtout de leur donner un esprit critique général tout au long de leur développement !
Progresser à la guitare, c’est avant tout un état d’esprit …
Musicalement,
Guillaume,Poitiers
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